Manneville ès Plains, son histoire des années 1000 à 1889-1890

Ce village de 531 habitants (vers 1890) est surtout caractérisé par ces clos cauchois particulièrement typiques de notre belle campagne. Il apparaît très boisé dans le lointain (venant de Veules les Roses) et cette impression est renforcée par les magnifiques talus plantés de chênes, hêtres ou autres essences constituant les coupe-vents.

Le coeur du pays est bien sûr l'église et son cimetière, la mare, le café, le boulanger. Le clocher joue d'ailleurs un double rôle : appel à la prière par la sonnerie des cloches pour l'angélus, appel au partage des joies et des peines lors des mariages et des enterrements, mais aussi aide aux marins dont les cartes hydrographiques le portent comme un point amer.

En face de celle-ci une curieuse façade de maison attire l'attention par sa dénomination "A l'oriflamme de Saint Denis"
   
Depuis plus de mille ans, dans le calme et la paix du plateau cauchois, proche de la Manche et cependant loin du ressac incessant des vagues, Manneville ès Plains se blottit au milieu de son bouquet de hêtres majestueux, autour de sa mare aux canards indolents et charmeurs. 

Le manoir qui jouxte l'église a été construit en style ogival vers 1460. Il dépendait ainsi que le village des moines de l'abbaye de Fécamp et fut habité par les abbesses de Montivilliers.  
 
Il est curieux de savoir que le territoire de Manneville comprenait le hameau d'Ectot, descendait la valleuse pour atteindre dans Saint Valery même, le quartier de Bohème. 
Adèle, fille de Robert le Pieux et de Constance, possédait au XIème siècle, le fief de Manneville. Devenue veuve, elle consacra la fin de sa vie à des oeuvres pieuses et donna la terre de Manneville à Elisabeth, abbesse de Montivilliers.
Cette donation a été effectuée entre 1065 et 1079 date du décès d'Adèle.

Les abbesses de la célèbre abbaye ont profité de la Seigneureie de Manneville jusqu'à la révolution, mais n'avaient par contre aucun droit sur l'église qui en vertu des actes des ducs de Normandie appartenait à l'abbaye de Fécamp.
Tous se complique à cause des exactions d'Enguerrand de Marigny. En 1316 la sergenterie de Manneville relevait du Comté de Longueville confisqué à Marigny pour être donné à Louis de France, Comte d'Evreux, second fils de Philippe le Hardi.

La portions du fief de Manneville comptait 43 vassaux qui relevaient néanmoins des abbesses de Montivilliers sous réserve des droits de suzeraineté attribués aux Comtes de Longueville. Par voie de conséquence, ces derniers possédaient des droits jusqu'en amont de Saint Valery et c'est peut-être ce qui nous permettra d'éclaircir une énigme : quelle est l'origine de Port Navarre (Portus Navarris) nom appliqué quelquefois au havre de Saint Valery ?

On le trouve dans les chartres à partir du milieu du XIVème siècle. Il faut écarter une étymologie provenant de la corruption de Port Naval ou Port Navaille.
Au surplus, l'assemblage de port et naval constitue un pléonasme que rien ne justifie.
Par contre, l'histoire permet de trouver une hypothèse séduisante et vraisemblable : Philippe d'Evreux, fils de Louis de France a réuni le comté de Longueville à la couronne de Navarre en 1328 par son mariage avec Jeanne de France fille de Louis le Hutin.

Le Comte a ainsi probablement, en faisant exécuter certains travaux de défense contre la mer laissé son nom à une partie du port de Saint Valery qui occupait la lisière maritime de l'extension du fief de Manneville dans la valleuse. Il est aisé de penser alors que les terrains et constructions sises en arrière seraient désignées en 1430 dans les termes suivants :"Icelle vavassorerie assise environ le lieu nommé le Port de Navarre". 
Au hasard des guerres et des successions, le Comté de Longueville passa entre diverses mains dont celles du vaillant et fidèle chevalier Bertrand Duguesclin (27 mai 1364). Gaston de Foix, captal (capitaine-seigneur) de Buch en disposa également pendant la guerre de Cent Ans, en 1419, grâce à Henri V de Lancastre. Dans l'aveu rendu à ce roi d'Angleterre le 7 octobre, nous acquerrons la certitude que cette suzeraineté n'était pas pûrement honorifique: "Item m'appartient de droitures et coutumes, varechs, acquits, des ports de Saenne de Saint Valery, en tant qu'il y en a de ma ditte conté".

A cette époque seule la tradition orale et quelques rares manuscrits permettaient de définir les droits et obligations de chacun. La complexité de ceux-ci et leur "mouvance" laisse penser que les conflits étaient fréquents et souvent violents.
Paroisse depuis 9 siècles, Manneville accède à l'indépendance administrative et territoriale en 1789, en devenant une commune.

Sur le plan de l'administration territoriale, Manneville qui dépendait sous la monarchie du baillage de Cany et de l'élection d'Arques, relève dorénavant de la Communauté de Communes de la Côte d'Albâtre (ex district de Cany) et du canton de Saint Valery. 
L'homme célèbre du village né dans le manoir en 1817, fut l'abbé Ouin Lacroix, docteur en théologie, vicaire à Saint Maclou de Rouen de 1841 à 1850. Il fut secrétaire général de la Grande Aumônerie de Napoléon III. Il acheta l'ancienne "maison cléricale" pour la transformer en Mairie et école en 1860. Il fit plusieurs dons à la commune, des statues de la Sainte Vierge, de saint Charles, deux bustes de l'empereur et un de l'impératrice, des tableaux de saint Joseph, de saint Vincent de Paul et de lui-même. Il fut emporté par une cruelle maladie la 24 octobre 1879, et enterré dans le cimetière de son village natal, Manneville ès Plains.
 
Le bourg de Manneville est bâti sur un étroit plateau de 80 mètres d'altitude. La végétation y est luxuriante. Autrefois Manneville était en pleine forêt, les chroniques anciennes sont formelles sur ce point.
Une influence mystérieuse et terrifiante semble du reste planer sur ces lieux voués jadis aux sanglantes superstitions du culte druidique. le loup-garou sinistre, le morne chasseur de la nuit, la fantastique dame blanche et le génie jaloux gardien des trésors cachés, tiennent encore une grande place dans les histoires des soirs d'hiver ou dans les chansons qui bercent le sommeil des petits enfants. Il existe un endroit proche de Manneville lieu maudit et redouté autrefois qui s'appelle toujours le Fond des Pendus.

Le presbytère est ancien, sans époque bien définie, il est couvert de sculptures et de bas-reliefs assez curieux à examiner.
Manneville se nomme en réalité Manneville ès Plains. Un des plus savants historiens de la Normandie : Duplessis, nous donne l'explication de ce surnom. Il y a entre les deux rivières du Dun et de la Durdent, un petit canton nommé "les Plains" parce que, au lieu d'une épaisse forêt anciennement, on n'y voit plus, depuis qu'elle a été défrichée par les travaux des moines de Fécamp, qu'un terrai sinon uni, du moins entièrement découvert et propre au labour. C'est à cette ancienne forêt, qui ne subsiste plus qu'il faut rapporter l'origine des noms de Manneville ès Plains, Saint Riquier ès Plains et quelques autres semblables.
 
Extraits de "Promenades en Pays de Caux" de L. PREVOST. Edité en 1889. 

L'histoire de notre village est connue. Loin des nouveautés, des modes, des transformations, Manneville s'est toujours satisfait de voir s'écouler le temps présent dans la respect de la tradition. 
 
La population, en léger accroissement était jadis essentiellement agricole. Elle est partagée aujourd'hui entre ceux qui poursuivent le rude travail de la culture et ceux qui tiennent des emplois citadins plus ou moins éloignés. Quelques estivants, touristes, promeneurs viennent grossir cette population durant les mois d'été, occuper ses gîtes, manger à l'auberge ; ce n'est qu'une animation temporaire. Tout retombe dans le calme avec leur départ. Comme l'école communale a disparu, on voit alors réapparaître les cars scolaires qui viennent chercher la jeunesse mannevillaise pour la conduire vers les centres d'enseignements.
 
Remerciements: à Monsieur Pierre JACQUES LESEIGNEUR pour son ouvrage "Manneville, un village dans les Plains", à Mme Yvette LHEUREUX, et M.Eric LONGUEMARE pour le prêt des photos